Le plan des dieux

Le convoi progresse lentement vers le nord. Spike, Grabu, Pash’tarot et Ida mènent une colonne de véhicules et de silhouettes emmitouflées vers le dôme de lumière. Six jours de route, entre pauses méfiantes, chasses organisées, repas improvisés — des moments simples, tendus, nécessaires.

Mais à l’arrivée… il n’y a rien.

L’endroit où se dressait jadis le dôme n’est plus qu’un cratère ravagé, mélange de ruines effondrées et de terre retournée. Comme si un séisme avait englouti toute trace de ce qui fut là.

Le silence qui suit est lourd. Sans réponse, sans lumière, ils rebroussent chemin.

Mais pas jusqu’à Oxford.

Spike les mène plus loin, sans mot, vers les marécages entre Lendros et Blorist. Là, la terre boueuse crache ses horreurs : deux vers de vase surgissent, massifs, voraces. La lutte est féroce. Le groupe triomphe, mais des hommes tombent.

Spike, toujours plus replié sur lui-même, récupère les composants des créatures. Du sang, de la bile, un foie distordu. Il trace des cercles, murmure des mots anciens. Les sorts s’enchaînent, l’air crépite, l’odeur est infecte.

Et Spike change.

Ses articulations s’affinent, ses nerfs vibrent à nu, visibles sous une peau de plus en plus absente. Sa silhouette se tord, devient presque démoniaque. Il ne parle plus. Il inquiète. Et le convoi commence à murmurer, inquiet de voir leur guide sombrer sans un cri.

Pendant ce temps, Ro’shy marche dans un autre monde.

Il foule un sol nuageux jaune pâle, doux et écrasable comme de la neige, sous une lumière sans source. À l’horizon, une étrange pyramide aux marches circulaires, entourée d’une foule. Des dieux inférieurs, innombrables, tous différents, tous réunis.

Ro’shy monte les marches, et là, les cinq dieux supérieurs l’entourent. Ils annoncent son ascension : il est désormais dieu inférieur, remplaçant Mayila.

Mais il ne ressent rien. Pas de transformation, pas de révélation. Juste un vide, un doute froid.

Il questionne. Il cherche à revenir sur Terre. Mais ici, nul ne comprend ce désir. Il apprend que pour les dieux, traverser l’Entropie pour revenir chez les vivants est aussi naturel que marcher ou respirer. Mais lui ne sait pas. Il est seul avec son ignorance.

Les jours passent — ou peut-être les siècles ? Il ne le sait pas. Il ne dort pas, il ne mange pas. Il n’y a pas de temps ici.

Ro’shy médite. Se concentre. Et finit par projeter une image d’Ida depuis le plan des vivants. Il voit, brièvement. Il essaie de communiquer, mais échoue.

Autour de lui, la lumière ne change jamais. Et une pensée se glisse dans son esprit, lente, corrosive :

Suis-je condamné à rester ici… à jamais ?