Le quartier des arts

Pashtarrot avance sur la route poussiéreuse en direction de Paris, seul avec son épée et son instinct de survie. La voie est peu fréquentée, et les rares silhouettes qu’il aperçoit au loin disparaissent aussitôt qu’il s’approche, tout comme lui préfère éviter les rencontres inutiles. Le vent souffle des relents de rouille et de terre brûlée, un vestige du monde d’avant que la nature n’a pas encore tout à fait recouvert.

Les nuits sont rudes. Il dort à même le sol, camouflé dans les hautes herbes qui bordent la route principale, un œil toujours entrouvert sur l’obscurité pesante. Le silence nocturne est oppressant, mais c’est ce même silence qui le sauve. En pleine nuit, un bruissement inhabituel lui fait ouvrir les paupières juste à temps. Un Mut-taupe, créature massive aux griffes acérées, s’est approché dangereusement. Pashtarrot se redresse d’un bond, tirant son épée dans un mouvement fluide. La bête charge, mais il esquive de justesse, roulant sur le côté avant de lacérer la peau épaisse du monstre d’un coup précis. Le Mut-taupe riposte avec une violence aveugle, labourant la terre d’un coup de patte. La danse mortelle dure quelques instants de plus avant que la créature ne pousse un grognement rauque et s’éloigne en boitant, disparaissant dans les ombres de la nuit. Pashtarrot, haletant, s’autorise à reprendre son souffle avant de se laisser tomber dans son abri de fortune, bien décidé à ne plus fermer l’œil jusqu’à l’aube.

Après plusieurs jours de marche, il atteint enfin Paris. Ce n’est pas la majesté des ruines d’une ville antique qu’il découvre, mais un chaos reconstruit, un patchwork urbain de misère et de renouveau. De gigantesques cratères déchirent le sol, vestiges d’une catastrophe dont l’histoire s’est perdue dans le tumulte des âges. Certains sont densément peuplés, véritables fourmilières humaines où des passerelles branlantes relient des bidonvilles empilés. D’autres, à l’inverse, sont désespérément vides, remplis de silence et d’un danger latent.

Pashtarrot se met en quête du quartier des arts, le seul indice donné par le fermier en échange de cette mission. Son regard capte bientôt une bande de terre étroite entre trois cratères habités, où des habitations de bric et de broc se parent de tissus colorés, vibrant sous le vent poussiéreux. L’air est saturé d’épices, de parfums capiteux et d’herbes brûlées dans des encensoirs. Il avance prudemment entre les échoppes, croisant des artistes peignant des fresques sur des murs de tôle et des musiciens jouant des airs envoûtants sur des instruments rafistolés.

Il trouve enfin la roulotte qu’on lui avait décrite et rencontre son destinataire : un homme sec aux yeux perçants qui, sans dire un mot, l’invite à le suivre dans une petite bâtisse attenante. L’endroit est exigu, mais chaleureux, éclairé par des bougies posées sur des caisses de bois. L’homme lui fait signe de s’asseoir et disparaît derrière un rideau de tissus sombres.

Le silence s’éternise.

Puis, sans prévenir, une douleur fulgurante explose à l’arrière de son crâne. Le monde vacille. Il tente de se lever, mais ses jambes ne répondent plus. L’obscurité l’engloutit.

Lorsqu’il reprend connaissance, c’est dans un autre décor, bien moins accueillant. Les murs de sa prison sont faits de tôles rouillées, dégoulinant d’humidité. Un matelas rapiécé et moisi est sa seule compagnie. L’air est âcre, chargé de moisissures et de métal. Un bruit de pas lourds se rapproche, et une silhouette massive apparaît dans l’encadrement de la porte branlante.

Un Thog. Son regard inexpressif et son air désabusé n’augurent rien de bon. Il tend une écuelle remplie d’une bouillie noire et informe, son odeur suffocante retournant l’estomac de Pashtarrot. Celui-ci détourne la tête, refusant le maigre repas. Le Thog ne semble pas contrarié. Il repart, refermant la porte derrière lui.

Les heures passent. Peut-être même les jours.

À intervalles réguliers, la porte s’ouvre à nouveau. Pas pour lui donner de la nourriture, mais pour autre chose. Chaque fois, le même Thog entre, brandissant une petite fiole. Il l’ouvre et asperge Pashtarrot d’un liquide inconnu. L’effet est immédiat : une brûlure diffuse envahit sa peau et ses yeux. Il suffoque, son souffle se fait court. Le monde devient un chaos brumeux, impossible à appréhender. Et alors que l’effet se dissipe, l’épuisement le gagne, mais pas suffisamment pour dormir paisiblement.

C’est une torture insidieuse. Un cycle sans fin d’épuisement et de confusion.

Et il ne sait pas combien de temps il pourra tenir.