Le creuset des nations
Le vent chaud soulevait des volutes de poussière alors que Ro’shy, Ida, Grabu et Spike récupéraient les possessions des raiders qu’ils venaient d’abattre. Le sang séchait déjà sur le sable tandis que le butin changeait de mains. Il n’y avait pas de place pour la pitié ici, seulement la survie.
Une fois prêts, ils traversèrent le pont bringuebalant qui reliait l’île au continent, les planches gémissant sous le poids de leurs montures. À peine avaient-ils atteint l’autre rive qu’une ombre dans le lointain attira leur attention. Une voile, effilée, se dessinait sur l’horizon marin. Spike, dans la lunette de son sniper, distingua les couleurs qui claquaient au vent : un crâne sur fond sombre. Un pavillon pirate.
« Mauvais présage », grommela-t-il, mais le groupe ne s’attarda pas. L’urgence dictait leur route : il fallait rejoindre Paris, le creuset des nations, aussi vite que possible.
Ils galopèrent sur la route côtière, longeant une mer d’un gris huileux. Quand un rideau de sable commença à se lever au sud, ils bifurquèrent à temps pour éviter la tempête. Le vent hurlait, charriant des grains qui fouettaient les rochers comme des aiguilles. À bonne distance, ils attendirent que la nature se calme avant de retrouver leur chemin.
La nuit tombait lorsqu’ils aperçurent un phénomène plus inquiétant encore : des météores éventraient le ciel, traçant des sillons incandescents vers la terre. Lorsque les impacts résonnèrent au loin, soulevant des geysers de poussière et de flammes, un frisson parcourut le groupe. Mais ils restèrent fidèles à leur objectif. L’inconnu pouvait attendre.
Le paysage changea en s’approchant de la périphérie de Paris. Les vestiges de la banlieue ressemblaient à des squelettes de béton rongés par le temps. Là, sous un abri de fortune, ils firent la rencontre de Bruce, un messager au visage buriné par la route. Autour d’un feu, il leur raconta l’état actuel de la ville : un chaos sous un semblant d’ordre. Le maire Joseph, bien que figure officielle, n’était qu’un pantin impuissant. Le véritable pouvoir appartenait à Esdel, parrain de la pègre, qui dictait sa loi dans l’ombre.
À l’aube, ils atteignirent enfin Paris. Mais la vision qui s’offrit à eux était loin de l’image d’une capitale en ruines. De gigantesques cratères balafraient le sol, vestiges de bombardements ou de cataclysmes anciens. Dans ces abîmes, un enchevêtrement anarchique de favélas s’élevait, un patchwork de tôles, de bois et de plastiques usés. Des passerelles branlantes reliaient les habitations, formant un réseau fragile au-dessus du vide.
Parmi les premiers visages qu’ils croisèrent, il y eut Berlin, un excentrique qui tenait un stand de bric-à-brac, et Lisa, une Adrulan à l’aura mystérieuse qui gérait une taverne mal famée. L’instinct du groupe leur dicta de ne pas s’attarder ici. Ils rebroussèrent chemin et cherchèrent refuge en périphérie de la ville.
C’est là qu’ils trouvèrent un hangar abandonné, vaste de deux cents mètres carrés. À l’intérieur, une forge en bon état et un assortiment d’outils poussiéreux. Parfait pour Spike, qui voyait déjà les possibilités offertes par cet atelier providentiel.
Dès le lendemain, chacun s’attela à une tâche. Ro’shy s’intéressa à la flore locale, trouvant un terrain convenable pour aménager un parc aux chevaux. Ida s’acharna à rendre le hangar un tant soit peu habitable, couvrant les trous dans les murs et installant des couchages rudimentaires. Quant à Grabu et Spike, ils retournèrent en ville, bien décidés à obtenir une audience avec le maire Joseph.
Lorsqu’ils furent enfin face à lui, ils exposèrent la situation de Lendros et le contrôle exercé par Voln. Mais Joseph, accablé par les problèmes de sa propre ville, leur opposa un refus poli. Paris était un nid de vipères qu’il peinait déjà à contenir. Pourtant, un de ses adjoints, un certain Salbek, leur souffla un nom : Saint-Armand, prêtre des Enfants du Grand Boom. Peut-être trouveraient-ils un allié parmi ses fidèles.
Descendant dans les profondeurs de la ville, ils découvrirent un sanctuaire souterrain où la lumière peinait à filtrer. Une végétation moite et moussue recouvrait les lieux, un contraste saisissant avec le chaos métallique de la surface. Les Enfants du Grand Boom vénéraient les explosions et la destruction comme une forme de renouveau. Lorsque Saint-Armand daigna leur accorder une entrevue, son message fut sans équivoque : il n’était pas question de libérer Lendros, seulement de la réduire en cendres. Une vision trop extrême pour eux. Ils repartirent bredouilles.
De retour au hangar, la nuit commençait à tomber lorsqu’un froissement attira leur attention. Une lettre venait de glisser depuis le toit, atterrissant sur le sol poussiéreux. Spike réagit au quart de tour, bondissant à l’extérieur pour traquer l’expéditeur. Il repéra une silhouette furtive et s’élança à sa poursuite. Dans l’obscurité des ruelles, il finit par le rattraper et tenta de lui extorquer des informations par la force. Mais l’homme resta muet, stoïque face aux menaces.
Revenant avec la missive, ils la déplièrent sous la lueur vacillante d’une lampe. Les mots tracés en lettres épaisses leur firent l’effet d’un coup de poing :
“Le maire Joseph est sous mon protectorat. Ne vous en approchez pas.”
Signé : Esdel.
Une menace voilée, une déclaration de guerre silencieuse. Paris ne se laisserait pas conquérir si facilement.