Le grand retour
Lorsque la lumière aveuglante du portail se dissipa, les cinq compagnons émergèrent dans une Lendros méconnaissable. Les rues baignaient dans une clarté nouvelle, presque artificielle, qui contrastait avec le souvenir d’une ville autrefois plongée dans l’ombre d’une crise énergétique profonde. Là où régnait jadis une tension palpable à cause du couvre-feu électrique, une énergie invisible circulait désormais librement, inondant chaque recoin de la cité.
Leurs pas les menèrent jusqu’à la place centrale, où une statue colossale de Voln se dressait, imposante et magnétique. Le dieu du Temps était sculpté avec une précision glaciale, son regard de pierre scrutant chaque mouvement des habitants. Autour d’eux, les citoyens de Lendros vaquaient à leurs occupations, leurs visages étrangement paisibles, presque apaisés, comme si les tourments de la crise énergétique n’avaient jamais existé. Mais ce n’était pas la paix des retrouvailles, non. C’était la tranquillité d’une population qui avait fait un choix radical.
Grabu s’arrêta un instant, fronçant les sourcils. « Quelque chose ne tourne pas rond… » murmura-t-il. Autour d’eux, la ville semblait prospérer. Pourtant, l’aura pesante de la dévotion, ancrée dans chaque pierre, pesait lourd dans l’air. La statue de Voln n’était pas qu’une décoration, elle symbolisait l’autorité nouvelle qui régnait ici.
Alors qu’ils avançaient, leurs regards se tournaient vers les bâtiments des paladins et des mages, autrefois symboles de pouvoir et d’indépendance. Aujourd’hui, ces lieux avaient été redéfinis. Des bannières aux couleurs de Voln pendaient des façades, proclamant ouvertement une nouvelle ère de vénération. Un malaise s’installa parmi le groupe, une conscience subtile que la ville n’avait pas simplement changé sur un plan matériel. Elle avait été transformée spirituellement, et ce changement n’était pas sans raison.
C’est à cet instant que Ketra, l’ancienne cheffe des mages, apparut dans la brume du crépuscule. Son visage, ridé par les années, portait les marques de la transition, de l’acceptation d’une force nouvelle. Elle ne prit pas la parole, mais ses yeux en disaient long sur les décisions qui avaient été prises en leur absence. Ils comprirent sans qu’elle n’eût besoin d’expliquer : Voln avait fait une proposition à la ville. Une énergie perpétuelle contre leur dévotion. Ceux qui acceptaient la nouvelle autorité restaient et prospéraient. Les autres, les dissidents, avaient quitté la ville, laissant Lendros en paix sous la gouvernance de Voln.
En traversant les rues, Ro-shy observa les habitants. Plus de misère, plus de conflits ouverts, et surtout plus de gangs violents comme ils en avaient autrefois l’habitude. Les factions agressives avaient disparu, remplacées par des citoyens qui, bien que dociles, vivaient une existence stable. Ce n’était pas la vision de la ville qu’ils avaient laissée derrière eux.
Arrivés aux anciens quartiers généraux des paladins, Grabu se fit un devoir de faire son rapport à Harold, l’ancien chef de l’ordre. Il détailla leurs péripéties au Dôme de Lumière, les dangers rencontrés, mais surtout les changements qui les attendaient maintenant à Lendros. Harold, un homme autrefois inflexible, écouta en silence. Il ne montra ni surprise ni choc, comme s’il avait déjà accepté cette nouvelle réalité. Il se contenta d’acquiescer, et lorsqu’il prit la parole, sa voix était empreinte de gravité : « Nous avons fait ce qu’il fallait pour sauver la ville. »
Mélios, quant à lui, ne put supporter davantage cette atmosphère de résignation. Après tout, c’était ici, dans cette ville, que l’on vénérait son père Dennis, ancien dieu de lumière. Bouillonnant de rage intérieure, il quitta ses compagnons et se dirigea vers l’ancien temple de son père.
Mais ce qu’il y découvrit n’était plus un lieu de recueillement en l’honneur de Dennis. Le temple tout entier avait été redécoré aux couleurs de Voln, et les fidèles, qui autrefois priaient pour Dennis, s’étaient inclinés devant une nouvelle divinité. La vue de ces bannières, de ces prières adressées à celui qui avait usurpé la place de son père, fut insupportable pour Mélios. Le sang lui monta à la tête, et une rage aveugle le submergea.
D’un geste fluide, il dégaina son arme et s’élança dans le temple. Sa colère se transforma en violence pure, chaque coup porté avec la force d’un homme déchiré par la trahison. Les fidèles, sans défense face à cette furie soudaine, tombaient les uns après les autres, leurs cris noyés dans le vacarme du massacre. Le sol sacré se gorgeait de sang.
Cependant, Mélios ignorait qu’en s’attaquant à ces croyants, il attirait l’attention du dieu qu’ils vénéraient. Voln, omniprésent dans la ville qu’il avait façonnée, ressentit le trouble dans ses rangs. En un éclair, il apparut dans le sanctuaire, émergeant des ombres avec une grâce terrible. Sans un mot, il s’approcha de Mélios, et d’un geste aussi rapide que précis, planta une dague dans son dos. Le coup fut foudroyant, coupant net l’accès de Mélios à sa magie.
Le jeune élémentaire tenta de se défendre, mais Voln ne lui laissa aucune chance. Le duel qui suivit dans la cour extérieure fut inégal, chaque mouvement de Mélios entravé par l’influence du dieu du Temps. Voln ralentissait le moindre geste, réduisant la furie de son adversaire à une pantomime dérisoire. À bout de forces, Mélios tomba à genoux, du sang coulant de ses blessures. Dans un dernier souffle, il adressa une prière à son père disparu, Dennis, avant que la vie ne quitte son corps. Voln, impassible, se retira dans les ombres, laissant le cadavre de Mélios gisant sous les cieux de Lendros.