Les cendres du passé
L’atmosphère était lourde lorsque Ro-shy, Ida et Amon pénétrèrent dans l’ancienne boutique du Salbek. Les étagères étaient recouvertes d’une fine couche de poussière, vestiges de semaines d’abandon. Chaque pas soulevait un nuage grisâtre qui dansait dans les rares rayons de lumière filtrant à travers les volets clos. Ce lieu, autrefois chaleureux et empreint des parfums d’herbes séchées et de potions mystérieuses, était désormais une coquille vide. Ro-shy soupira en refermant doucement la porte derrière eux.
Amon, visiblement mal à l’aise, gardait le silence, le visage crispé. L’événement de la ruelle, cette force sombre qui s’était emparée de lui, pesait encore sur ses épaules. Le Thog s’efforçait de ne pas penser à ce qui s’était passé, à cette perte de contrôle qui avait non seulement compromis son esprit, mais aussi son corps. La honte le rongeait. Sentant le besoin urgent de se ressaisir, il demanda à Ro-shy où se trouvait la salle d’eau.
« Par là, » répondit Ro-shy en désignant une porte au fond de la pièce.
Sans un mot de plus, Amon s’y engouffra. Le son de l’eau qui coule résonna rapidement dans l’arrière-boutique, une douche rapide pour effacer les traces visibles de son désarroi, mais certainement pas celles ancrées dans son esprit.
Ida, pendant ce temps, s’occupait à ouvrir les fenêtres, laissant entrer un peu d’air frais dans la boutique étouffante. Ro-shy, lui, parcourait lentement les lieux, caressant du bout des doigts les fioles couvertes de poussière, retrouvant ici et là des souvenirs de son ancienne vie.
Pendant qu’Amon se lavait et que Ro-shy et Ida redécouvraient ce qui restait de la boutique, Spike, le mercenaire cyborg, observait la scène d’un tout autre endroit. Il se tenait à proximité du temple, dissimulé dans les ombres, ses yeux cybernétiques scrutant la foule. Il avait assisté à la mort de Mélios, cet Élémentaire de la lumière, avec un détachement glacial. Spike n’était pas du genre à s’émouvoir de la mort d’un homme, surtout dans un monde aussi brutal. Les Élémentaires n’étaient pour lui que des pions dans le grand jeu qui se jouait à Lendros.
À ses côtés se trouvait Graff, un autre cyborg aux opinions tranchées. Spike écoutait distraitement son discours sur l’installation d’un réseau de caméras dans la ville. Graff prêchait l’importance d’une surveillance accrue pour maintenir l’ordre, éradiquer la violence, et rétablir la loi. Spike, bien qu’ayant un mépris à peine voilé pour la politique, appréciait cependant les avantages d’un système de contrôle, surtout s’il pouvait en tirer profit pour ses propres ambitions.
Graff poursuivit : « Imagine un réseau de caméras couvrant toute la ville, Spike. Plus personne ne pourrait bouger sans qu’on le sache. C’est comme ça qu’on rétablit l’ordre dans un monde comme celui-ci. »
Spike hocha la tête, mais son esprit était ailleurs. Sa véritable obsession était bien plus intime : se créer une compagne robotique, un être à son image, mais parfait à ses yeux. Pour cela, il lui fallait des ressources, et il savait que ce projet nécessiterait du temps et de la discrétion.
Un peu plus tard, Ro-shy, Ida et Amon rejoignirent Grabu au temple. Le colosse Élémentaire de terre se tenait près du corps de Mélios, offrant un dernier hommage à son compagnon tombé. Ensemble, dans un silence solennel, ils portèrent le corps vers les sous-sols du temple, là où reposait Dennis, le père spirituel de Mélios.
Le couvercle de la tombe de Dennis, une imposante dalle de pierre, semblait immuable. Grabu, d’un geste de main empreint de magie, lança un sort pour alléger son poids. La pierre s’éleva légèrement dans les airs, permettant au groupe de glisser doucement le corps de Mélios à l’intérieur. Une fois cela fait, ils refermèrent la tombe, scellant ainsi Mélios auprès de son père.
Les adieux furent brefs. Chacun ressentait la perte à sa manière, mais il n’y avait plus rien à dire. Grabu murmura une prière silencieuse à sa déesse, Mayila, avant de s’éloigner pour errer dans la ville, cherchant réconfort dans l’entraînement physique et la méditation. Ro-shy, quant à lui, retourna à son quartier, renouant peu à peu avec ses anciens voisins, reconstruisant un réseau de connaissances, des liens précieux dans une ville qu’il redécouvrait.
Ida resta à la boutique, déblayant les débris du passé, effaçant la poussière pour redonner vie à ce lieu abandonné. Elle nettoyait méticuleusement, trouvant dans cette tâche simple une échappatoire à la violence et au chaos qui les entouraient.
Amon, cependant, n’était plus le même. Bien qu’il ait nettoyé le massacre du temple, son esprit était toujours en proie aux murmures d’Adzert. Ce dernier ne cessait de chuchoter, le pressant de céder à ses sombres désirs. Le Thog, troublé et sans réponse, se dirigeait finalement vers la tombe de Dennis. La voix d’Adzert devint plus forte en approchant de la tombe, exigeant qu’il la fasse exploser, qu’il détruise tout ce qui rappelait ce dieu mort.
Mais Amon, malgré l’influence grandissante d’Adzert, ne savait comment s’y prendre. Il n’avait ni les moyens ni le savoir-faire pour accomplir cette tâche. Résolu à trouver une solution, il se mit à chercher un moyen de gagner des capsules en ville, de quoi acheter des explosifs.
Ses pas le menèrent à un bâtiment étrange, à l’écart du centre de Lendros. Une enseigne délabrée flottait au-dessus de l’entrée, indiquant un lieu où des tests expérimentaux étaient menés. Amon entra, accueilli par un petit humain à bonnet, au sourire chaleureux et légèrement malaisant.
« Salut, mon grand ! Tu cherches du travail ? » lança l’homme d’une voix enjouée.
Amon hocha la tête sans un mot.
« Bien ! On cherche des gens comme toi pour tester quelques… substances. T’inquiète, on respecte le consentement ici. C’est bien payé, et t’auras même droit à des bonus si tu tiens bien le coup. Intéressé ? »
Le Thog réfléchit rapidement. C’était peut-être une opportunité. S’il réussissait ces tests, il pourrait se faire assez de capsules pour se procurer les explosifs dont il avait besoin. Il accepta, signant ainsi un contrat d’un genre bien particulier.
Pendant ce temps, Spike, resté à proximité du temple, se livrait à une autre forme de collecte. Discrètement, il avait aidé à se débarrasser des corps laissés après le massacre de Mélios, jetant les cadavres par-dessus les murailles de la ville. Mais Spike n’était pas là par simple charité. Avec une précision chirurgicale, il utilisa des sorts de magie de la mort pour extraire la poudre d’os des corps. Une ressource précieuse pour ses propres expérimentations.
Une fois sa besogne terminée, il retourna à l’auberge où il louait une chambre. Là, dans l’intimité de son repaire, il se mit à travailler sur les plans d’améliorations qu’il souhaitait apporter à ses bras de cyborg. Son objectif ultime : se créer une compagne, un être mécanique qui lui obéirait et le compléterait. Mais pour cela, il lui fallait encore beaucoup plus de ressources, et Spike, comme toujours, avait des moyens pour les obtenir.