Chute de Lendros

On the road again

Le convoi quitte enfin Paris, lourd d’armes, de vivres, d’espoirs et de secrets. Le rugissement des moteurs couvre les adieux silencieux à la ville-morte. Devant eux s’étendent des terres dévastées, incertaines, mais porteuses d’un avenir que chacun projette à sa manière. Leur destination : Lendros, la cité des promesses et des dangers.

En route, ils marquent une halte à Amiens. Les ruines y résonnent d’un étrange silence, brisé seulement par les rires d’enfants. Une ville sans adultes, gouvernée par l’innocence ou la sauvagerie – difficile à dire. Malgré cette singularité, le groupe ne perçoit ici ni menace immédiate, ni opportunité durable. L’arrêt est bref, l’atmosphère trop fragile, presque dérangeante. Ils reprennent la route.

La côte se dessine enfin à l’horizon. Là, les vestiges d’une ville balnéaire leur offrent un nouveau terrain d’exploration. Le pont qui relie l’ancien monde à l’Angleterre s’étire comme une promesse suspendue. La fouille des ruines leur permet de récupérer quelques ressources, mais l’endroit n’offre ni sécurité, ni avenir. Au petit matin, les moteurs redémarrent. Le convoi s’engage sur le pont.

Mais la traversée ne se fait pas sans obstacle.

À mi-chemin, un groupe mystérieux surgit. Leurs crânes sont transpercés de cristaux rouges pulsant comme des cœurs extérieurs. Les tirs pleuvent, mais les corps refusent de tomber. Ces ennemis semblent insensibles aux blessures, leurs chairs absorbant les balles comme de l’eau dans le sable. La clé de leur chute vient d’une découverte brutale : ce sont les cristaux qu’il faut briser. Une fois pulvérisés, les corps s’effondrent enfin, sans vie. Un silence lourd s’installe après le combat — celui d’un mystère non résolu.

Finalement, Lendros se dresse devant eux.

Ou plutôt, elle se cache.

Un immense dôme d’énergie recouvre entièrement la cité, opaque et impénétrable. Impossible d’en voir l’intérieur. Autour du dôme, le sol est éventré, criblé de cratères. Des troupes éparses, visiblement organisées mais extérieures à la ville, campent tout autour. Elles semblent s’acharner en vain contre cette barrière magique, incapables de percer sa surface. Le champ de bataille n’a pas livré son vainqueur, mais il crie la tension d’une guerre en suspens.

Le groupe observe, se questionne, hésite.

C’est alors que Grabu entend un murmure.

Une voix, douce et impérieuse, s’insinue dans son esprit :

« Fuis… »

C’est Mayila, la déesse à laquelle il a juré sa foi.

Le message est sans appel. Et il glace le sang.

Des hommes et des dieux

Le vent sec des plaines souffle sur le convoi, qui a quitté Lendros sous les auspices d’un avertissement divin. Leur nouveau cap : Blorist, une ville mystérieuse, peut-être plus sûre. Toute la journée, ils roulent sans encombre, le silence du paysage n’étant brisé que par les moteurs et les carcasses humaines éparpillées sur leur passage.

Ida, toujours attentive, s’arrête à plusieurs reprises pour fouiller les morts. De leurs poches, elle extirpe quelques armes, des babioles, et même un petit butin qu’elle partagera le soir avec Ro’shy, installé près d’un feu, une théière fumante à la main, s’occupant calmement des chevaux.

Autour du feu, Grabu organise un rituel. Dans la lumière vacillante, ses mots s’élèvent vers Mayila, la déesse qu’il sert, entraînant dans sa prière les âmes du groupe.

Mais la nuit n’est pas paisible.

Grabu rêve. Ou plutôt, il tombe dans une vision. Il y voit Mayila. Radieuse. Majestueuse. Mais derrière elle, une présence. Une forme spectrale, un visage blafard, les yeux vides de pupilles, les cheveux flottant dans une brise inexistante. Grabu tente de s’adresser à eux, mais la créature hurle, le rejette avec violence, le déchire de son rêve.

Quand il se réveille, le monde semble flou. Comme s’il était mort un instant. Puis revenu.

Mais ce n’était pas qu’un rêve.

Spike aussi y était. En silence, il a tout observé : l’affrontement entre Mayila et l’entité inconnue, la tension divine, les mots qu’il ne comprend pas. Lorsque Mayila tente une attaque, c’est Spike qui prévient l’entité. Cette dernière la défait, l’expulse du rêve. S’ensuit une conversation cryptique. L’être lui offre une promesse :

“Sers-moi, et je ferai de toi un dieu.”

À son réveil, Spike quitte le camp, attiré par un appel. Dans l’obscurité, il rejoint un Adrulen, un extraterrestre qui l’attendait. Celui-ci lui révèle ce que peu savent :

Lendros est désormais sous le contrôle du dieu Voln.

Le dieu Neh’zul, celui de l’entité du rêve, veut vaincre Voln… et Mayila.

Chaque dieu abattu libère une place au Panthéon, que Spike pourrait revendiquer.

Au matin, le groupe se retrouve. Les regards sont lourds, les langues retenues. Chacun pèse ses mots. La méfiance est palpable. Ro’shy prie Mayila, et cette fois, elle lui répond. Une synchronisation subtile se produit. Les pièces se mettent en place. Ils décident de quitter Blorist car la ville est jonchée de cadavres, de ne pas retourner à Lendros… mais de partir vers Oxford.

En chemin, deux robots extraterrestres, robustes, d’un autre monde, attaquent sans sommation. Mais les années de combat, la magie, la ruse et la violence ont aguerri le groupe. Ils les abattent, puis chargent les carcasses métalliques dans leur camion. Le silence revient, mais leur route, désormais, est bordée de dieux, de machines et de trahisons à venir.

Succession

Le campement s’installe non loin des ruines d’Oxford, sous un ciel bas, rempli de cendres. Spike et Grabu montent les tentes, scrutant les alentours d’un œil méfiant. Pendant ce temps, Ro’shy et Ida d’un côté, Pash’tarot de l’autre, s’aventurent dans les décombres de la ville. Les bâtiments éventrés livrent leurs secrets : quelques objets utiles, de quoi survivre. Mais la vraie décision naît à leur retour. Ils partiront en reconnaissance vers Lendros.

Arrivés aux abords de la ville, un choc les attend : le dôme protecteur qui enveloppait Lendros a disparu. Et devant ses murs, une scène de cauchemar. Des cadavres des sombres Adrulen, sans armes, reposent en silence, par petits groupes, comme abandonnés par la guerre.

Ils se réfugient dans les ruines, observant depuis l’ombre. Aux portes de la ville, une armée en armure assistée se dresse, froide, organisée. Mais ce n’est qu’un prélude.

Des immeubles en ruine surgissent deux robots colossaux, semblables à des dinosaures mécaniques. Ils foncent vers la ville dans un silence de marbre. Pourtant, en moins d’une minute, ils sont réduits en poussière. L’armée de Lendros ne vacille pas. Elle annihile, sans hésiter.

Face à ce pouvoir écrasant, le groupe bat en retraite. Sur le chemin du retour, la nuit tombe, et le ciel s’ouvre. Au nord, dans la direction du dôme de lumière, des lueurs tombent du ciel… et d’autres, comme des éclairs inversés, remontent vers l’espace. Le monde change. Quelque chose se trame, bien au-delà des forces humaines.

De retour au camp, chacun retrouve ses habitudes. Mais Ro’shy ferme les yeux et prie. Dans ses songes, Mayila lui apparaît. Elle l’observe, le questionne. Satisfaite, elle parle de son départ imminent, et lui offre sa succession.

À l’aube, Ro’shy dévoile ses mutations récentes à Grabu. Une transformation subtile, mais perceptible. Il lui partage son rêve, qui reste circonspect, inquiet peut-être. Pash’tarot, lui, perçoit le changement dans le corps de Ro’shy, essaie de tirer la vérité du jeune élu — mais ne récolte que le silence.

Le groupe reste sept jours sur place. Le temps de récupérer des vêtements chauds, d’organiser les vivres, de se préparer pour un voyage vers le mystérieux dôme de lumière.

Mais la veille du départ, une dernière mission de reconnaissance vers Lendros est lancée. Grabu, Spike et Pash’tarot s’y rendent. Et soudain, Grabu s’effondre intérieurement. Il le sent. Dans sa chair, dans son âme :

Mayila vient de mourir.

Au même moment, au camp, Ro’shy n’est plus seul.

Deux entités apparaissent à ses côtés : — L’une, insectoïde, chitineuse et mouvante. — L’autre, une élémentaire d’eau, fluide et calme.

Elles restent laconiques, ne livrant que le minimum d’informations au milieu de toutes ces oreilles. Elles ouvrent un portail, et sans hésiter, Ro’shy les suit.

La nuit avale ses traces. Le groupe, peu ému du départ d’un de leurs membres, dort à l’orée d’un monde bouleversé.

Le plan des dieux

Le convoi progresse lentement vers le nord. Spike, Grabu, Pash’tarot et Ida mènent une colonne de véhicules et de silhouettes emmitouflées vers le dôme de lumière. Six jours de route, entre pauses méfiantes, chasses organisées, repas improvisés — des moments simples, tendus, nécessaires.

Mais à l’arrivée… il n’y a rien.

L’endroit où se dressait jadis le dôme n’est plus qu’un cratère ravagé, mélange de ruines effondrées et de terre retournée. Comme si un séisme avait englouti toute trace de ce qui fut là.

Le silence qui suit est lourd. Sans réponse, sans lumière, ils rebroussent chemin.

Mais pas jusqu’à Oxford.

Spike les mène plus loin, sans mot, vers les marécages entre Lendros et Blorist. Là, la terre boueuse crache ses horreurs : deux vers de vase surgissent, massifs, voraces. La lutte est féroce. Le groupe triomphe, mais des hommes tombent.

Spike, toujours plus replié sur lui-même, récupère les composants des créatures. Du sang, de la bile, un foie distordu. Il trace des cercles, murmure des mots anciens. Les sorts s’enchaînent, l’air crépite, l’odeur est infecte.

Et Spike change.

Ses articulations s’affinent, ses nerfs vibrent à nu, visibles sous une peau de plus en plus absente. Sa silhouette se tord, devient presque démoniaque. Il ne parle plus. Il inquiète. Et le convoi commence à murmurer, inquiet de voir leur guide sombrer sans un cri.

Pendant ce temps, Ro’shy marche dans un autre monde.

Il foule un sol nuageux jaune pâle, doux et écrasable comme de la neige, sous une lumière sans source. À l’horizon, une étrange pyramide aux marches circulaires, entourée d’une foule. Des dieux inférieurs, innombrables, tous différents, tous réunis.

Ro’shy monte les marches, et là, les cinq dieux supérieurs l’entourent. Ils annoncent son ascension : il est désormais dieu inférieur, remplaçant Mayila.

Mais il ne ressent rien. Pas de transformation, pas de révélation. Juste un vide, un doute froid.

Il questionne. Il cherche à revenir sur Terre. Mais ici, nul ne comprend ce désir. Il apprend que pour les dieux, traverser l’Entropie pour revenir chez les vivants est aussi naturel que marcher ou respirer. Mais lui ne sait pas. Il est seul avec son ignorance.

Les jours passent — ou peut-être les siècles ? Il ne le sait pas. Il ne dort pas, il ne mange pas. Il n’y a pas de temps ici.

Ro’shy médite. Se concentre. Et finit par projeter une image d’Ida depuis le plan des vivants. Il voit, brièvement. Il essaie de communiquer, mais échoue.

Autour de lui, la lumière ne change jamais. Et une pensée se glisse dans son esprit, lente, corrosive :

Suis-je condamné à rester ici… à jamais ?

Pouvoir et dévotion

Ro’shy, toujours enfermé dans le royaume des dieux, poursuit ses méditations et expérimentations. Après de nombreux efforts, il parvient enfin à établir un contact fragile avec Grabu. Il lui explique la situation : il est devenu un dieu inférieur, mais reste piégé dans ce plan céleste. Il demande à Grabu de rassembler des fidèles pour le prier, ce qui pourrait renforcer son ancrage et peut-être l’aider à retrouver un lien plus concret avec le monde des vivants. Il lui parle également de Braggur, une entité divine capable de tout forger — mais qui réclame, en échange, des fidèles.

Grabu s’exécute. À la nuit tombée, il rassemble les membres du campement et organise une prière collective en l’honneur de Ro’shy. Ce dernier, qui venait d’échanger avec Voln dans une apparition brève mais dense, est ému par les louanges qui lui parviennent. En retour, il réussit à faire apparaître un petit talisman, destiné à aider ses fidèles à penser à lui quotidiennement. Puis, il leur parle de Braggur — mais cette révélation est accueillie avec réserve. Pourquoi prier plusieurs dieux, se demandent certains ? Ne risquent-ils pas de perdre leur âme dans ce nouveau panthéon en expansion ?

De son côté, Spike, toujours plus avide de puissance, propose à certains soldats d’accepter les dons qu’il peut maintenant transmettre. La plupart refusent, mais Pash’tarot accepte par loyauté. Il subit sa première mutation dans la douleur : ses articulations rétrécissent de façon anormale, provoquant de vives souffrances.

Le soir même, Spike apprend l’existence de Braggur. Intrigué, il tente de lui adresser ses prières, cherchant enfin une divinité digne de sa dévotion. Contre toute attente, Braggur lui répond. Il lui donne une mission : forger la plus belle hache de sa vie, sans interruption, durant sept jours. Spike se prépare mentalement et physiquement, s’injecte du J-Speed en cas de besoin, et se met à l’ouvrage au milieu du campement, frappant le métal sans relâche, en psalmodiant le nom de son nouveau dieu.

Durant ces jours de transe, Grabu veille à l’ordre du camp : il s’entraîne, fait patrouiller les soldats autour de Lendros, fouille les alentours, et surveille discrètement la ville. Pash’tarot, désormais altéré par ses mutations, chasse pour Spike, lui rapportant toutes sortes d’organes et de morceaux de créatures pour alimenter la magie grotesque des métamorphoses.

Spike parvient finalement à achever son œuvre. La hache est splendide, bien qu’elle ne semble pas contenir de magie évidente. Épuisé, il s’effondre et dort plus de 24 heures, veillé par Surane, sa lieutenante et amante. Ro’shy, toujours en contact avec Braggur, apprend la nouvelle. Il ordonne que Spike soit protégé, qu’on veille sur lui, qu’il soit prêt à se défendre si nécessaire.

À son réveil, Spike découvre un présent inattendu : de nouvelles boucles d’oreilles, apparemment offertes par Braggur. Mais la réjouissance est de courte durée. Grabu vient lui annoncer deux mauvaises nouvelles : une patrouille a aperçu des silhouettes inquiétantes au nord de Lendros — les sombres Adrulens semblent s’y regrouper en vue d’une attaque —, et une dizaine de soldats ont déserté le camp, probablement terrifiés par les récentes mutations et l’ambiance inquiétante qui règne autour de leur chef.

Le retour de Ro’shy

Toujours coincé sur le plan des dieux, Ro’shy tente désespérément de contacter ses compagnons. Mais aucune voix ne lui répond. Isolé et inquiet, il prend une décision risquée : forcer son retour vers le plan des vivants. Il s’engage seul dans un voyage interplanaire… mais échoue.

Au lieu de retrouver le monde matériel, il dérive vers le plan des esprits, se retrouvant sous une forme immatérielle, désincarnée. Désorienté, paniqué, Ro’shy tente alors de rebrousser chemin, mais découvre avec horreur que chaque traversée de plan semble lui arracher une part de lui-même. Ce sont des morceaux de son être — peut-être de son âme — qui se dispersent à chaque passage.

Il parvient finalement à revenir sur le plan des dieux, usé, fragmenté. Là, il entre en contact avec la Mère Vanyss, puissante entité divine, et lui confie son errance et ses doutes. Ensemble, ils observent l’entropie à travers une fissure ouverte dans le plan divin. Ro’shy s’y engouffre, porté par un ultime espoir… et retrouve enfin le plan des vivants.

Mais le prix de son errance est lourd : il a perdu son bras droit et sa jambe droite, emportés quelque part entre les mondes.

Affaibli, il est retrouvé par Pashtarot qui tente de le porter jusqu’au camp. Dans l’effort, il se blesse au dos. Les deux, vacillants, s’aident mutuellement tant bien que mal jusqu’à la tente de Grabu. C’est là que Spike et Ida arrivent, alertés par la scène. Les retrouvailles sont brèves mais intenses.

Ro’shy, diminué mais déterminé, confie à Ida la mission de rassembler davantage de fidèles. Pendant ce temps, Spike et Pashtarot s’adonnent à de nouvelles mutations, grossissant leur masse musculaire de façon grotesque, démoniaque. Ils deviennent des colosses de chair et de puissance, au prix de leur humanité.

Durant la nuit, Ro’shy tente une méditation pour retourner sur le plan des dieux… mais rien ne se passe. Quelque chose a changé. Peut-être est-il désormais trop ancré dans le monde matériel, ou trop brisé pour franchir de nouveau les frontières invisibles.

Au matin, Spike exige que Pashtarot porte Ro’shy à une main devant tout le camp, pour prouver que leur dieu marche à nouveau parmi eux. Ro’shy, agacé, se débat : un coup de pied involontaire projette Grabu à plusieurs mètres, emportant avec lui la toile de la tente dans un grand fracas. Le silence se fait.

Profitant de cet instant, Ro’shy s’adresse à la foule : il proclame qu’il est bien leur dieu, revenu parmi eux, et qu’il les guidera. Il convainc les plus fidèles de se mettre en marche vers le pont d’Europe, entamant ainsi une nouvelle expédition terrestre.

Quant à Ro’shy, affaibli mais vivant, il découvre avec émotion un plaisir oublié : le goût d’un repas. Après des semaines dans les limbes entre les plans, ce simple acte de manger devient une expérience sensorielle et presque sacrée.

Sur le chemin, le groupe croise une scène troublante : une foule nue, errante, avec des cristaux rouges incrustés dans le crâne. Ro’shy les détourne avec sagesse, contournant ce danger inconnu.

Pendant ce temps, restés au camp, Grabu, Spike, Surane et Pashtarot érigent un autel à Braggur, leur nouveau dieu-forgeron. Une fois cela fait, ils partent en reconnaissance vers Lendros, actuellement assiégée par les Sombres Adrulens, qui utilisent des armes de siège terrifiantes, alimentées par de l’énergie noire. Effrayés par la puissance de ces armes, ils quittent les lieux prudemment et retournent au camp pour se préparer, eux aussi, à partir.

Routes séparées

Un vent tiède soufflait sur les plaines rouillées du nord, brassant la poussière ocre et les odeurs de métal brûlé. Le ciel, couvert d’un voile gris persistant, laissait à peine filtrer la lumière du soleil. Dans ce décor post-apocalyptique, un calme artificiel régnait autour du campement de fortune du groupe. Spike, Grabu, Pashtarot et Surane s’y affairaient, les traits tirés mais la volonté intacte. Chaque geste trahissait la tension des jours à venir.

Dans le ventre d’un vieux camion blindé, Spike et Pashtarot terminaient d’installer un autel en métal sombre et de cuivre oxydé, orné de runes et de fragments de miroirs brisés, à la gloire de Braggur, dieu de la forge. De l’encens aux senteurs de terre et de cendres flottait déjà dans l’air vicié du compartiment sanctifié.

Pendant ce temps, Grabu, comme possédé, enchaînait les exercices : coups d’épée dans l’air, courses en cercle, sorts projetés dans le vide… Il refusait le sommeil, l’eau, la nourriture, jusqu’à ce que son corps lâche. Un matin, alors que le soleil se levait à peine, il s’effondra, le visage contre la poussière, vidé par l’inanition et la déshydratation. Son réveil fut rude. Le ciel était bas, le silence oppressant. Ce fut dans ce moment de faiblesse que Grabu comprit qu’un esprit sain ne pouvait survivre sans un corps viable. Il commença alors, à contrecœur, à ménager ses forces.

Pashtarot, lui, était plus mesuré. Silencieux et concentré, il alternait longues heures de méditation et entraînements magiques, le regard souvent perdu vers l’horizon comme s’il écoutait les murmures du monde.

Mais ce fut Spike qui vécut l’expérience la plus étrange.

Alors qu’il s’acharnait sur un arbre sacré érigé par Ro’shy — une colonne de bois mort sculptée de symboles ésotériques — un coup de hache déclencha quelque chose. Une voix, douce mais pénétrante, résonna dans son esprit. Elle venait de sa hache. Elle parlait. Elle était vivante.

« Je suis ton enfant », dit-elle. Interloqué mais étrangement serein, Spike nomma cette conscience Melios.

Plus tard, sous un ciel d’encre zébré d’éclairs lointains, il laissa Melios prendre le contrôle de son corps durant un entraînement. Ses mouvements devinrent fluides, imprévisibles, dévastateurs. Chacun des coups de hache semblait danser avec la mort. Ses compagnons le regardèrent avec un mélange de fascination et d’effroi.

Quelques jours plus tard, alors que le vent s’était levé, ils quittèrent le camp dans une caravane mécanique de fortune : deux voitures, deux camions, chargés de vivres, d’armes, et d’espoir.

Mais la route vers Paris n’était pas une simple traversée.

Alors que la lumière du matin caressait les collines dévastées, une silhouette métallique colossale apparut derrière eux, surgissant comme une sentence des ruines d’un ancien monde. Un robot de guerre, haut comme un immeuble, s’élança à leur poursuite.

Un missile fusa et réduisit la dernière voiture à une boule de feu. Un rayon laser découpa net le flanc d’un camion. Dans le vacarme et le chaos, seuls Spike et Grabu parvinrent à maintenir leur trajectoire.

Grabu, agrippé à son volant, déclencha un barrage de météores électromagnétiques, faisant pleuvoir la foudre et le métal sur le géant mécanique. Spike, de son côté, tira avec un fusil BMG, chaque balle creusant des sillons dans la carapace du robot… mais rien ne semblait suffisant.

Puis un second missile frappa de plein fouet le camion de Spike, le projetant dans un cratère de boue fumante.

Spike s’extirpa de l’épave, haletant. Grabu, en retrait, incanta un sort de gravité augmentée. Le poids de l’air sembla se multiplier, le robot ralentit, ses membres craquèrent sous l’effort.

Profitant de l’ouverture, Spike laissa à Melios le contrôle total. Il courut droit vers l’ennemi, hache brandie, prêt à frapper le cœur de la bête.

Mais au moment de l’impact, le doute s’insinua dans l’âme de l’arme. Les dégâts visibles sur le robot, minimes, insuffisants, brisèrent sa volonté. Melios recula. Spike aussi.

Plutôt que mourir ici, ils prirent la fuite, rejoignant Grabu et la dernière voiture encore intacte. Tandis qu’ils s’éloignaient à toute allure, ils virent dans leur rétroviseur la machine de guerre changer de direction… vers Lendros.

Une fois à distance, ils firent demi-tour. Le ciel était rouge, le silence absolu. Ils retrouvèrent Surane, ou ce qu’il en restait : des lambeaux de chair, des cendres, un souvenir douloureux.

Mais Pashtarot vivait encore, grièvement blessé, mais conscient. Ensemble, ils récupérèrent tout ce qu’ils pouvaient du camion éventré : vivres, armes, composants essentiels.

Puis ils reprirent la route, le cœur lourd.

Ils franchirent un pont effondré partiellement, qui donnait sur une petite ville silencieuse, à moitié mangée par la végétation. De loin, ils aperçurent des signes de vie — lumière, mouvement, silhouettes — mais ne s’y arrêtèrent pas. Le sud les appelait encore.

Ce qu’ils ignoraient, c’est que cette ville était désormais tenue par Ro’shy et ses suivants.

Arrivés bien avant le reste du groupe, Ro’shy et ses fidèles avaient investi un vieux gymnase, le transformant en sanctuaire : des barricades, des dortoirs de fortune, une salle commune éclairée par des lampes bricolées.

Mais leur arrivée ne fut pas paisible. Aux abords du pont, ils furent attaqués par des mange-esprits, des créatures psioniques capables de rendre les hommes fous de rage. Le chaos éclata : certains soldats commencèrent à s’entretuer, aveuglés par la folie.

Et alors, Ro’shy parla.

Sa voix résonna, claire, impérieuse. Par sa simple présence, il fit taire les cris, les larmes, les tirs. C’était du jamais vu : ceux qui tombent sous l’influence des mange-esprits ne reviennent jamais à la raison. Mais lui les apaisa.

Mieux encore, il s’adressa aux mange-esprits eux-mêmes, et leur proposa un pacte : garder la ville, en échange de leur paix. Et ils acceptèrent.

Malgré les morts et les rancunes, Ro’shy, par ses paroles et sa foi inébranlable, souda les survivants, renforçant leur loyauté et leur croyance. Dans cette ville oubliée, un nouveau bastion de foi venait de naître.